Catégorie : Poésie

La Source, Louise Michel

LA SOURCE

Sous la fenêtre au noir grillage,
Sans cesse on entend couler l’eau.
On se croirait en un village
Où doucement chante un ruisseau,
Ou bien dans les bois, sur la mousse,
Ouïr la source claire et douce
Qu’aiment le pâtre et le troupeau.
Ô source, coule, coule,
Coule, coule toujours.
Ainsi roule la houle,
Ainsi tombent les jours.

La nature, féconde mère,
Abreuve le tigre et l’agneau.
Ils apaisent leur soif entière
Sans jamais tarir le ruisseau.
Le soleil est à tous les êtres ;
Les hommes seuls donnent des maîtres
Aux bois, à l’herbe des coteaux.

Quand la neige couvre la terre,
Les loups hurlant au fond du bois,
Devant leur commune misère,
Ont les hasards pour seules lois.
L’homme, sur la grande nature,
Pour quelques tyrans la capture,
Burlesque et naïf à la fois.

De toutes les sources du monde,
La seule que rien ne trahit,
Qui, par bouillons, s’élance et gronde,
C’est le sang coulant jour et nuit,
Par les monts et par la vallée.
À ses quatre veines, saignée,
La race humaine, sans répit,

 

Elle saigne, elle saigne encore.
Et la goule société,
Sans cesse, du soir à l’aurore,
De l’aurore au soir, la dévore,
Horrible de férocité.
Et nul encore, sur la mégère,
Afin de délivrer la terre,
D’un bras assez sûr n’a frappé.

Pourtant, la fourmilière humaine
Manque d’abri, manque de pain.
On sait que toute plainte est vaine
Des petits qui meurent de faim.
Toute révolte est enchaînée.
La terre semble abandonnée
Au privilège souverain.

Ah ! que vienne enfin l’anarchie !
Ah ! que vienne l’égalité !
L’ordre par la seule harmonie,
Le bonheur dans la liberté !
Voici se lever, sur le monde,
Une époque grande et féconde,
Les jours d’un séculaire été.
Cesse, ô source sanglante,
Coulant depuis toujours
Monte, houle géante.
Tombez, heures et jours !

Louise MICHEL.
Louise Michel

La Ravachole, 1893

Dans la grand’ ville de Paris (bis)
Il y a des bourgeois bien nourris (bis)
Il y a les miséreux
Qui ont le ventre creux
Dansons la Ravachole
Vive le son (bis)
Dansons la Ravachole
Vive le son
D’l’explosion !


Refrain
Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois goût’ront d’la bombe,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois on les saut’ra !


Il y a les magistrats vendus, (bis)
Il y a les financiers ventrus, (bis)
Il y a les argousins,
Mais pour tous ces coquins,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, (bis)
Il y a d’la dynamite,
Vive le son
D’l’explosion !
au refrain


Il y a les sénateurs gâteux, (bis)
Il y a les députés véreux, (bis)
Il y a les généraux,
Assassins et bourreaux,
Bouchers en uniforme,
Vive le son, (bis)
Bouchers en uniforme,
Vive le son
D’ l’explosion !
au refrain


Il y a les hôtels des richards, (bis)
Tandis que les pauvres dèchards, (bis)
A demi morts de froid
Et soufflant dans leurs doigts,
Refilent la comète,
Vive le son, (bis)
Refilent la comète,
Vive le son
D’l’explosion !
au refrain


Ah ! nom de Dieu, faut en finir, (bis)
Assez longtemps geindre et souffrir, (bis)
Pas de guerre à moitié,
Plus de lâche pitié !
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son, (bis)
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son
D’ l’explosion !
au refrain

Paroles de Sébastien Faure

Le Triomphe de l’Anarchie, 1901

Tu veux bâtir des cités idéales
Détruis d’abord les monstruosités
Gouvernements, casernes et cathédrales
Qui sont pour nous autant d’absurdités
Dès aujourd’hui, vivons le communisme
Ne nous groupons que par affinités
Notre bonheur naîtra de l’altruisme
Que nos désirs soient des réalités


Refrain Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux }
révolutionnaires } bis
Et l’anarchie enfin va triompher }


Empare-toi maintenant de l’usine
Du Capital, ne sois plus serviteur
Reprends l’outil et reprends la machine
Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur
Sans préjugés, suis les lois de Nature
Et ne produis que par nécessité
Travail facile ou besogne très dure
N’ont de valeur qu’en leur utilité
au refrain


On rêve amour au-delà des frontières
On rêve amour aussi de ton côté
On rêve amour dans des nations entières
L’erreur fait place à la réalité
Oui, la patrie est une baliverne
Un sentiment doublé de lâcheté
Ne deviens pas de la viande à caserne
Jeune conscrit, mieux te vaut déserter
au refrain


Quand ta pensée invoque ta confiance
Avec la science il faut te concilier
C’est le savoir qui forge la conscience
L’être ignorant est un irrégulier
Si l’énergie indique un caractère
La discussion en dit la qualité
Entends, réponds, mais ne sois pas sectaire
Ton avenir est dans la vérité
au refrain


Place pour tous au banquet de la vie
Notre appétit seul peut se limiter
Que pour chacun la table soit servie

Paroles de Charles d’Avray

Le Pain volé, 1893



Y avait un pauvre ouvrier,
Laïoulaire et laïoulé !
Y avait un pauvre ouvrier,
Qui n’pouvait plus travailler.
Avait un gentil bambin
Laïoulaire et laïoulin !
Avait un gentil bambin
Qui lui disait : « P’pa, j’ai faim ! »


Chez un boulanger entra,
Laïoulaire et laïoula !
Chez un boulanger entra,
Prit un pain et s’ensauva.
Lboulanger l’avait guetté,
Laïoulaire et laïoulé !
L’boulanger l’avait guetté,
Tout d’suit’ le fit arrêter.


Pour ce vol phénoménal,
Laïoulaire et laïoula !
Pour ce vol phénoménal,
Comparut d’vant l’tribunal.
« Monsieur, si j’ai volé c’pain,
Laïoulaire et laïoulain !
Éditeur Meuriot
Monsieur, si j’ai volé c’pain,
C’est pour mon p’tit qu’avait faim ! »


L’tribunal le condamna,
Laïoulaire et laïoula !
L’tribunal le condamna,
A trois mois d’prison pour ça.
Apprenant la mort du p’tit,
Laïoulaire et laïouli !
Apprenant la mort du p’tit,
En prison, l’père se pendit.


Au tribunal du bon Dieu,
Laïoulaire et laïouleu !
Au tribunal du bon Dieu,
Parut avec son p’tit fieu.
« Monsieur, si j’ai pris ce pain,
Laïoulaire et laïoulain !
Monsieur, si j’ai pris ce pain,
C’est pour l’enfant qu’avait faim ! »


EPILOGUE
Au pauvre homme stupéfait,
Laïoulaire et laïoulait !
Au pauvre homme stupéfait,
Dieu dit : « Vous avez bien fait ! »

Paroles de Jules Jouy

Le Temps des Crises, 1886

Vous regretterez le beau temps des crises
Quand, pauvres sans pain, et riches gavés,
Nous serons aux prises !

Les drapeaux de Mars flotteront aux brises,
Les drapeaux vermeils sur qui vous bavez…

Vous regretterez le beau temps des crises

Quand viendra le peuple en haut des pavés !

Quand vous pleurerez le beau temps des crises
Le vil renégat et l’accapareur
En verront de grises !
Les politiciens auront des surprises,
Les Judas, au ventre, auront la terreur…
Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
Grondera partout la Rue en fureur !

Profitez-en bien du beau temps des crises
Où le Peuple jeûne et pense en rêvant
Aux terres promises !
Quand donc viendras-tu fondre les banquises,
Ô grand soleil rouge, ô soleil levant…
Profitez-en bien du beau temps des crises
Où le Peuple veille et s’en va rêvant !

 

Paroles de Jules Jouy

Sans lien avec l’actualité bien sur…

Bon appétit ! messieurs ! —
Tous se retournent. Silence de surprise et d’inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
…………………………….Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez pas ici d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. — Nous avons, depuis Philippe Quatre,
Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
et toute la Comté jusqu’au dernier faubourg ;
Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
De côte, et Fernambouc, et les Montagnes Bleues !
Mais voyez. — Du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n’était plus qu’un fantôme,
La Hollande et l’Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices ;
La France pour vous prendre, attend des jours propices ;
L’Autriche aussi vous guette. — Et l’infant bavarois
Se meurt, vous le savez. — Quant à vos vice-rois,
Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres,
Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
Quel remède à cela ? — L’état est indigent ;
L’état est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères !
Et vous osez ! … — Messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, — j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! —
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! … —
Ah ! j’ai honte pour vous ! — Au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L’escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L’herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L’Espagne est un égout où vient l’impureté
De toute nation. — Tout seigneur à ses gages
A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Génois, Sardes, Flamands, Babel est dans Madrid.
L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit.
La nuit on assassine et chacun crie : à l’aide !
— Hier on m’a volé, moi, près du pont de Tolède ! —
La moitié de Madrid pille l’autre moitié.
Tous les juges vendus ; pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes.
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S’habillant d’une loque et s’armant de poignards.
Aussi d’un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le soldat douteux se transforme en larron.
Matalobos a plus de troupes qu’un baron.
Un voleur fait chez lui la guerre au roi d’Espagne.
Hélas ! Les paysans qui sont dans la campagne
Insultent en passant la voiture du roi ;
Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d’effroi,
Seul, dans l’Escurial, avec les morts qu’il foule,
Courbe son front pensif sur qui l’empire croule !
— Voilà ! — L’Europe, hélas ! écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n’est plus que haillon !
L’État s’est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand peuple espagnol aux membres énervés,
Qui s’est couché dans l’ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
— Charles-Quint, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ?
Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! — Les bons font place aux pires.
Ce royaume effrayant, fait d’un amas d’empires,
Penche… Il nous faut ton bras ! Au secours, Charles-Quint !
Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
Que le jour désormais se levait à Madrid,
Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
On les souille ! — ô géant ! Se peut-il que tu dormes ? —
On vend ton sceptre au poids ! Un tas de nains difformes
Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi ;
Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !
Les conseillers se taisent consternés. Seuls, le marquis de Priego et le comte de Camporeal redressent la tête et regardent Ruy Blas avec colère. Puis Camporeal, après avoir parlé à Priego, va à la table, écrit quelques mots sur un papier, les signe et les fait signer au marquis.

 

Victor Hugo, Ruy Blas 

Au Peuple

Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.

Il est sous l’infini le niveau magnifique ;
Il a le mouvement, il a l’immensité.
Apaisé d’un rayon et d’un souffle agité,
Tantôt c’est l’harmonie et tantôt le cri rauque.
Les monstres sont à l’aise en sa profondeur glauque ;
La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus
D’où ceux qui l’ont bravé ne sont pas revenus ;
Sur son énormité le colosse chavire ;
Comme toi le despote il brise le navire ;
Le fanal est sur lui comme l’esprit sur toi ;
Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ;
Sa vague, où l’on entend comme des chocs d’armures,
Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures,
Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain,
Ayant rugi ce soir, dévorera demain.
Son onde est une lame aussi bien que le glaive ;
Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève ;
Sa rondeur formidable, azur universel,
Accepte en son miroir tous les astres du ciel ;
Il a la force rude et la grâce superbe ;
Il déracine un roc, il épargne un brin d’herbe ;
Il jette comme toi l’écume aux fiers sommets,
Ô peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais
Quand, l’oeil fixe, et debout sur sa grève sacrée,
Et pensif, on attend l’heure de sa marée.

Victor Hugo

Au bord de l’océan, juillet 1853

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